7 octobre 2010

Étincelle 8

J'épie les moments de décélération qui nous renvoient à nous-mêmes : l'esprit est comme resté en arrière et il observe un corps automate qui, tant bien que mal, résiste au temps.

26 juillet 2010

Étincelle 6

Une grande part du ciel pour lui, c'est tout au plus le dessous d'une surface de bois où trônent tous les matins d'étranges géants qu'il cherche des yeux mais, quand les têtes se tournent vers lui, et que le ciel sous un roulement de mains émet soudain les résonances du djembé, les yeux d'Émile, ce ne sont plus des yeux, ce sont deux soleils.

17 juillet 2010

Étincelle 5

Quelques cris d'un être encore tout rabougri suffisent à faire émerger l'extraordinaire dans le langage de tous les jours. 

16 juillet 2010

12 juillet 2010

Étincelle 3

Condenser une journée en une phrase est un exercice de résistance contre l'oppression du babillage.

Étincelle 2

"Les outils d'écriture participent à l'éclosion de nos pensées."
- Nietzsche

11 juin 2010

Propositions sur Glenn Gould - 4e gamme

J'ai beau essayer d'écrire sur la table de la cuisine pendant que les plats mijotent ou devant la TV, dans mon lit aussi, j'ai déjà mis mon portable sur mes cuisses, mais je n'y arrive tout simplement pas. Il me faut un lieu où je peux me retrouver avec ma machine et ma chaise et ma table, une zone fortifiée, à l'abri des distractions quotidiennes. Le rituel prend tout son sens seulement s'il est vécu entre les murs qui ont retenu mes humeurs.

C'est ici assis confortablement sur une chaise ou pas, souvent pas, avec les pieds sous les cuisses, sous les fesses souvent, rapidement, malgré moi, manie japonaise du seiza qui relève ma colonne et oblige mon corps à se tenir malgré tout, au fil des mots, même si, après une secousse ou deux, alors que les phrases s'entassent les unes sur les autres, j'ai souvent le cou cassé, le ventre sorti et les jambes engourdies.

Je parle tout haut aussi, je chuchote, je marmotte, ce besoin presque enfantin d'entendre la vibration des lettres qui s'entrechoquent, de le sentir glisser sur le bord des lèvres - constructions musicales qui fouillent le vide à la recherche d'un sens. L'écho comme une façon de n'être jamais complètement seul, mais de se retrouver face à soi, avec ce qu'il y a de plus ténu en soi - déplacer de l'air pour se sentir en vie et pour négocier en  démultipliant ses voix une sorte de pacte avec le réel - fugue du moi, se voir tout à coup en petits morceaux, constellé sur l'écran en cristaux liquides : JE : deux notes noires cernées de blanches (l'espace infini entre ce mot) - un son étranger qui se démultiplie dans la répétition et se dissout dans la solitude.

15 mai 2010

Propositions sur Glenn Gould - 3e gamme

Proposition 5

Glenn Gould est le seul pianiste à réfléchir vraiment à la forme. Il ne s'agit pas de faire une lecture lyrique d'une oeuvre et de l'interpréter en restant le plus près possible du sens, de la tradition, des attentes, pour émouvoir son public en lui renvoyant un langage qu'il saisit bien, le langage de tous les jours qu'il utilise, qu'il entend en faisant la vaisselle, mais plutôt une musique miniature, minimaliste, presque silencieuse qui chuchote des réalités et des saletés sur un monde exorbité, loin d'ici. Un monde aride, déseché, ascétique. Un espace désert où les notes se répercutent en renvoyant une teinte jusqu'alors inconnue, presque inodore et qu'il faut réapprendre à entendre.

On renait chaque fois qu'on écoute une exécution de Gould au piano. Des sons sont perçus. Mais ils ne nous vient pas à l'idée qu'il s'agit de sons. Désert. Vent. Le bruit de la neige peut-être qui fond sur une fenêtre au soleil, mais pas de Do ni de Sol, encore moins de La, puisque le langage lui aussi perd ses fonctions et que le La peut aussi bien déterminer qu'il peut qualifier.

"Quelle note la! si la!"

13 mai 2010

Propositions sur Glenn Gould - 2e gamme

C'est toujours mieux la lumière tamisée pour ne pas dire la noirceur complète. Faire un avec chaque note de Gould, en détacher la texture si particulière, comme lorsqu'on met l'oreille sur le ventre d'une femme enceinte pour mieux sentir les vibrations, les battements de coeur du foetus. Ce genre de musique-là, organique, biologique, atomique, quelque chose de si ténu, de si près du silence que la vie semble tout d'un coup gigantesque lorsqu'on en perçoit les profondes ramifications.

Proposition 4

L'exercice prend une valeur plus importante que l'oeuvre. Le non-fini, le fragmentaire, les morceaux épars, les notes, les cris, les marmottements. Je pense à Artaud en littérature comme à Gould en musique. Même combat. On recherche l'idée pure. Évacuer le décalage entre l'idée et son véhicule, éliminer les traces, la traduction qui corrompt les mouvements de l'âme. Travailler les transitions. Coller bout à bout les émanations pures du Moi pour qu'il n'y ait pas tergiversation, de raisonnement de l'humain qui interfère entre les données, mais quelque chose comme de l'animal dans son état le plus sain, dans son cri de foetus avant l'avortement.

Scolie 1

Si je n'ai jamais réussi à devenir pianiste, j'ai souvent réussi à tromper la vigilance des mes professeurs qui ont toujours cru que je savais lire la musique. Nada. J'ai toujours eu une excellente oreille et une sensibilité de prince au petit pois. Celui qui ne ferme pas l'oeil parce qu'il sent le pois sous une tonne de matelas. D'une certaine façon, je cherchais des raccourcis, des fuites, des fugues, je compensais un sens en forçant l'autre, la lecture pour l'ouïe et jaurais pu, si on m'avait encouragé, devenir un excellent jazzman, une sorte de génie schizo du piano - j'aurais déformé à ma façon les ritournelles de Mozart pour en fabriquer de nouvelles en papier-mâché, désarticulées, déformées, mais authentiques, libres de contraintes spasmodiques de la page.

Ce qui soulève une question: comment se libérer de l'étouffement qu'impose les codes sur la page? Le langage. Apprendre à lire pour comprendre et pour écrire pour communiquer quand le langage peut communiquer des choses atroces et déformer la réalité. Cela donne-t-il envie d'utiliser ce langage ou plutôt de le tordre dans une sorte de malaxeur interne, pour le jouer à l'oreille et le rendre à l'oreille comme une sorte de pastiche dégingandé du langage de tous les jours, quelque chose qui est un langage, mais qui n'est plus vraiment ça ou du moins ce à quoi on s'attend? Si l'on écrit à l'oreille, c'est de l'ordre du poétique peu importe que l'on écrive un article pour Elle Québec ou une thèse sur Spinoza.


11 mai 2010

Propositions sur Glenn Gould

Outre le plaisir jubilatoire dans le silence d'une nuit ivre où je me suis mis à l'écouter vraiment, je me rappelle l'avoir encore mieux entendu dans les champs de moutarde de Kamouraska - car les notes de Gould ont besoin d'espace pour se faire entendre, lui qui raffolait du Grand Nord. Je revois sa silhouette dans son paletot noir, comme une dièse sur un fond émaillé de neige pure.

Proposition 1
Il existe un rapport entre le clavier du piano et le clavier de mon portable et je le cherche.

Proposition 2
Le rapport de Gould à la musique, et plus particulièrement à l'enregistrement, en dit long sur le rapport à l'écriture et ses supports.

Proposition 3
Pour réfléchir aux formes d'écriture contemporaines, la réflexion du pianiste, pour qui le potentiel de l'enregistrement domine le spectacle, procure un modèle privilégié. Il n'y a plus d'auteur Superstar, mais un artisan orfèvre qui peaufine ses interprétations en les écoutant et les rejouant inlassablement. Une série de moments spontanés, isolés, purs, denses, authentiques sont rafistolées, bout à bout, comme les différentes mesures d'un morceau. Ce qui compte, ce n'est pas l'exécution du morceau en soi, mais sa faculté de juger quelles mesures méritent d'être retenues pour le morceau final et la place précise que celles-ci devront prendre dans l'ensemble.

Les Jumelles japonaises en BD

Groupe underground renommé pour ne s'être jamais produit nulle part, les Jumelles Japonaises ont du moins l'illustre chance de se retrouver dans le palmarès des meilleures planches de Chant, la fameuse bédéiste verchéroise.

7 avril 2010

La pédagogie du vide 2 - Sur les murs


Et si je leur disais qu’aujourd’hui on allait accrocher les bureaux sur les murs, si le programme de français consistait à réfléchir à une façon ingénieuse d’accrocher les bureaux au-dessus de la tête du maître comme des auditoriums miniatures suspendus entre deux plans où circule les émanations passagères de la pensée sous forme de pieds de bas et de petites culottes.
Il faudrait évidement exiger le port du pantalon ou tout simplement réécrire les devis pour des étudiants nudistes qui s’en donne à coeur joie lorsque vient le temps de chier sur le prof ou de lui tomber dessus pour une erreur de calcul.
Il faudrait revoir les devis déchirer les devis descendre la ministre de l’Éradication du Oisif et du Porc à coup de mitraillette pour ajuster les programmes en fonction d’une augmentation non pas du salaire des instituteurs mais bien de la hauteur approximative des élèves sur les murs - hauteur qui bien sûr permettrait de mesurer le degré d’intelligence et de compétence atteint par les dits-élèves.
Ces élèves écriraient comme je le disais plus haut un dossier technique sur l’installation de bureaux en hauteur - on y évaluerait évidemment les participes passés et la cohérence verbale mais aussi la clarté du propos le vocabulaire et en dernier lieu le pourcentage concret de mise en application probable de réussite de l’installation desdits bureaux à l’aide de poulies d’écrous et de vis sur les murs et les plafonds.
On ne négligerait rien les élèves seraient assidus comme des oiseaux gris-bleu s’essorant les ailes dans les moulures du plafond disposant d’une faculté de l’esprit géométrique hors du commun on les verrait tels des funambules se tenir sur la corde raide d’une balançoire à l’horizontal. 
Tout cela simplement si je leur disais : «Aujourd’hui, on va accrocher les bureaux sur les murs.»

5 avril 2010

Pédagogie du vide - Un mur ne sait rien des autres murs


Le rapport à l’espace me fascine. La première chose que je fais en entrant en classe, ce n’est pas écrire le plan de cours au tableau. Je m’arrête dans le cadre de la porte. Je balaie l’espace d’un coup d’oeil et je tente d’imaginer la disposition de bureaux la plus déstabilisante possible tout en envisageant une proximité avec les étudiants, tout en m’obligeant à orienter la composition en fonction d’une convivialité qui fait souvent défaut aux études supérieures.

Les bureaux, c’est la matière. Les élèves, les transistors qui permettent à l’information d’affluer entre les îlots. Tragédie des classes universitaires qui imposent des bancs soudés, fixés au sol. Pire encore: les auditoriums qui infligent à un maximum d’élèves une posture dans un moule prédéterminé au seuil duquel trône le maître dans la poussière de craie. Plus les études avancent, plus la pensée, à l’image de l’espace, impose sa dictature.  
Je préfère penser l’espace de la classe comme s’il n’y avait pas de murs. Un lieu où l’anarchie peut subvenir tout comme une zone propice à l’affluence soudaine de lignes silencieuses qui se dessinent entre les têtes. 
Les bureaux, je veux dire ces objets brinquebalants qui font figure de table de travail où se laisse choir les jeunes décérébrés en attente d’un mouvement à l’avant, ne devraient pas imposer la rectitude conservatrice qu’on leur connaît depuis le temps des jésuites et des sulpiciens. 
Avant d’entrer en classe, je l’imagine vide. Un canevas blanc en trois dimensions. Les bureaux comme matériau. Des planches de bois disposées abstraitement ci et là permettent de diluer l’espace, de l’alléger. Elles permettent aussi de le dynamiser, de lui donner l’illusion de grandeur ou de rétrécissement. 
Je prétends qu’un réaménagement de l’espace influe sur les influx nerveux, stimule l’esprit, l’oblige à orienter son esprit sur des chemins moins connus, favorisant l’association d’idées, l’imagination, voire une nouvelle forme de concentration.
L’idée est d’imposer une perception différente, désarmante, saugrenue. 
Suggestions de figures possibles:
  • de dos au professeur
  • face à une fenêtre ouverte sur l’extérieur dans le contexte d’un atelier
  • dos à dos lors d’un examen.
  • en zigzags
  • collés sur le mur du tableau
  • éclatés comme des points perdus dans l’espace suite à une explosion
  • en forme de constellations, selon une logique mathématique qui se base entièrement sur le dynamisme du groupe, sur l’aura spécifique qui s’en dégage
  • en forme de triangle (vide ou plein)
  • en forme de cercle (vide ou plein)
  • renverser le dressage du corps en les obligeant à s’asseoir sur la table de travail et à garder les pieds dans le vide
  • les inviter à rester debout, à s’étendre dans un coin, à se percher sur le rebord de la fenêtre
  • imposer des figures géométriques facilitant l’échange
  • coller les bureaux en pavé où les élèves agglutinés les uns aux autres, tel un monochrome de Rothko, doivent irradier en silence 
  • [Insérez votre proposition ici]
Et tout cela sans jamais s’arrêter de prendre des notes, en intensifiant leur concentration, en explorant de nouveaux chemins de la pensée.
Le professeur, quant à lui, est mobile ou fixe par rapport à un point référentiel connu (le bureau du prof). Il n’a peut-être pas de bureau dédié, il s’est peut-être exorbité quelque part dans la classe, comme un point parmi les points de la constellation. Les ligne de force qu’il établit avec les élèves ne sont pas hiérarchiques, mais dynamiques. La vitesse de pensée doit précéder la leur, prévoir les questions, les tensions, devancer les attentes, favoriser l’échange, pousser en dehors du cadre. 
Un mur ne sait jamais rien d’un autre mur. Il n’est qu’une surface qui impose une limite au corps. 


Mon objectif est de m’adapter à l’environnement, de fixer des points et de me mouvoir en fonction des sources de lumière (fenêtres, éclairage électrique), de la largeur des murs (droites parallèles et perpendiculaires à mon emplacement). J’opte pour une architecture qui s’appuie sur des phénomènes physiques d’interaction. Je deviens à chaque cours un dispositif de localisation et de suivi d’éléments fixes, en nombre quelconque, dans un environnement structuré, partiellement connu et de taille limité. Je suis moi-même un matériau mobile disposé dans l’environnement. 
En somme, théorie et géométrie se renforçant l’un l’autre, le professeur-architecte invente et expérimente les figures les plus appropriées à sa matière. 

3 avril 2010

Sumo

L'équivalent du hockey au Japon, c'est le Sumo. Voici une superbe reconstitution du plus honorable des arts de combat. Il s'agit d'un vrai tournoi en accéléré dont quelques séquences ont été supprimées pour donner l'illusion d'une maquette (Tilt shift motion).  Malgré le sérieux de la chose, si vous observez bien, vous remarquerez dans les dernières secondes un geste surprenant de la part d'un Sumo : un kancho, plaisanterie grivoise qui consiste à faire semblant de rentrer un doigt dans l'anus d'une personne qui ne s'y attend pas.

23 mars 2010

Une fleur pour Leroy K. May


Puisque dans ce monde décadabrouticaltaque saturé d'information on a tendance à trouver ses idées chez ses meilleurs amis, Leroy K. May a eu, justement, l'idée ingénieuse d'exploiter le thème avec lequel je lui casse les oreilles depuis une décennie: le Japon. Nous voici donc sous les cerisiers numériques que Robert n'a pas voulu lire, mais qu'il a bien voulu publier. Pour 4 dollars, ça vaut bien la peine. Pas plus.

16 mars 2010

Détonations















les clous parfois l'hiver éclatent

j'aime le son de ces
détonations
ces instants glacés où le métal cède

c'est mon vrai visage 
dégarni ridé cerné
qui éclate

mon visage et sa peau sous la pression des pensées 
extraites comme des clous du clavier 

fragile étanchéité des voix qui m’habitent
arrachées des lettres sur les frappes
renversées sur l’écran liquide

dans ce moule étincelant
les signes cloués me regardent
courbes lignes espaces noirs ou pas
simagrées insolites
rancoeurs
amours
insipidités
répertoires de cris étouffés par la police
cris Times New Roman
cris Arial
cris Raavi Consolas Cambria
phonèmes dégoutés du quotidien
cardiogrammes de fureurs
réverbères crispés de la pensée
paniques alphabétiques
violences vrillées dans les touches
préludes pour des pattes de mouches

pianissimo

solitude des mots sous mes yeux
espace insondable entre un nom et un adjectif
phénomène abject et infanticide grec
cette ligne ne veut rien dire 
comment s’est-elle faufilée 
par quels canaux 
sa beauté vient du fait qu’elle semble s’être infiltrée malgré moi
par une fissure quelconque du mode de fonctionnement de la pensée 
relisons-la
phénomène abject et infanticide grec

j’aurais pu copier-coller mais j’ai préféré repasser dans les lettres pour sentir la vibration des touches sous mes doigts lorsque j’appuie sur le P le h le é le n le o le m le è le n le e lorsque j’appuie sur l’espace surtout à cause de la
détonation 
si particulière de la plus longue touche de mon clavier
quelle touche sur le piano équivaut au son qui sourd de cette touche-ci
do ré mi fa sol
SOL
je crois que c’est un sol
les détonations
les clous qui explosent
opèrent sans doute le même trajet qu’un Sol 
sur le clavier de ma pensée 

SOL

apprendre à savourer ce son qui éclate en plein hiver 

5 mars 2010

Sur l'autre route

Je te vois tu te déclines, tu te déposes et te sédimentes aux marais féconds des ralentissements bruts. Embué d’aubes télégraphiques, tu diriges tes yeux-torpilles vers l’arc invisible des ponts successifs. Te moquant des vertiges, tu déplies les écorces convergentes d’un horizon à quatre voies, tu bifurques là où les terrains vagues s’écartent et s’altèrent, là où les haltes savonneuses t’épurent des villes perpétuelles. ............... Je te vois, les grands pylônes intermittents s’abreuvent de tes nuées humides et leurs arêtes tracent des nappes flottantes dans la pâleur vive des aubes dissoutes. Te voilà maintenant dans la campagne rageuse, loin des immeubles rampants, des crevasses d’attentes, des lampadaires aveugles de chaux vives, loin du cri étroit des boulevards abstraits, loin des fièvres rotatives et des vertèbres contradictoires. ............... Je te vois, tu dévales la plaine et absorbe les fumées bleues d’un instant d’argile. Tu traverses enfin la façade vitrée des très-grandes-vitesses, là où les reflets verrouillent le sens dans le mystère répété de tes décélérations exponentielles. ...............

1 mars 2010

Marumage - Histoire de fantôme

Je l’imagine discrète, prenant mille précautions pour ne pas attirer l’attention: kimono démodé, sourcils enduits de blanc, coiffure Marumage que l’on retrouve chez les femmes d’âge mûr.
Je l’imagine en train de peindre ses dents avec un pinceau très fin : elle observe son reflet; lentement, elle ouvre la bouche, puis elle applique par touches délicates un résidu de prunelles bleu-noir qu’elle a cueillies dans un cerisier.
Je l’imagine impitoyable envers elle-même. Un tube d’acide sulfurique à portée de main.
Je l’imagine dans les ruelles en zôri par une nuit chargée d’électricité, sa silhouette disparaissant dans l’écart qui sépare une maison d’une autre.   
Je l’imagine avec une lettre froissée sous le kimono. La calligraphie de son amie à peine déchiffrable, les mots gonflés sous l’effet de quelques gouttes d’eau :  «... je t’en prie, viens vite.»
Je l’imagine hésitante, cherchant entre les plans d’ombres le réconfort de la lueur d’une lanterne rouge. 
Je l’imagine fluette, gracieuse, mais soumise à une peur inhabituelle qui provoque peu à peu une tension des doigts autour du manche de son parapluie, qui accentue la courbe de son dos jusqu’à faire passer son menton à l’avant-plan. Le déséquilibre causé par cette physionomie quelque peu altérée inflige alors un effort supplémentaire aux jambes qui, sous la pression du haut du corps, accélèrent. Le rythme des pas fluctue, j’imagine, entre la retenue et l’enjambée, faisant alternativement vaciller et se relever la tête de la jeune femme à la manière d’une grue.  
Je l’imagine répétant à vois basse son mantra: «Je me tiens trop droite. Il faut courber le dos.» 
Je l’imagine nerveuse au moment où elle se fait dépasser par un petit groupe d’hommes ivres. «Encore quelques minutes», se dit-elle en levant les yeux vers le ciel. 
Je l’imagine chercher le ciel dans l’enchevêtrement de fils électriques, son regard attiré par l’éclat du goudron dont ils sont enduits. Transie, elle écoute l’électricité qui cille au-dessus d’elle. Comment se fait-il que ce son soit si sinistre? Et ces fils si luisants au couchant? Au delà, un amoncellement de tresses s’emmêlent encore à l’infini. «C’est obscène, se dit-elle.» 
Je l’imagine grelotter, puis accélérer le pas.
Je l’imagine oublier son rôle, sa cadence, la jeune actrice recouvrant sa prestance naturelle par dégoût.
Je l’imagine imaginer son corps de jeune fille retrouvé le lendemain dans une ruelle, une profonde coupure au poignet et aux chevilles. 
Je l’imagine visualiser le sang dans sa chevelure, masse sombre, luisante et collante. Opacité du rouge qui se dilue dans une flaque d’eau.
Je l’imagine étourdie. Vacillante, elle s’accroupit, tousse, retient une envie de vomir. 
Je l’imagine sensible aux bruits qui parviennent de la bouche des hommes, des voitures, des affiches publicitaires. Elle se relève tout de même. «Ça va aller, se dit-elle. Un dernier effort.»
Je l’imagine désorientée pendant quelques instants. «Où suis-je?» Elle ne se rappelle plus. Elle revient sur ses pas, s’engage dans une ruelle.
Je l’imagine pressentant son agression par un groupe d’hommes en cravate: elle qui pousse un cri; elle qui ne sent plus le sol; elle qui ferme les yeux.
Je l’imagine faisant les manchettes. «Une autre victime de 17 ans a été retrouvée ce matin. À part une incision aux poignets et aux chevilles, la jeune fille n’aurait pas été violentée. Il semblerait que le meurtre soit encore relié à la Nouvelle Compagnie Électrique de Tokyo. Ce n’est plus un secret pour personne: le sang noir des jeunes vierges est un excellent isolant pour les fils électriques. Bien meilleur que le goudron. La précieuse substance serait à l’origine de ce crime industriel.

24 février 2010

Star Wars disco sea chicken

Les Japonais ne sont peut-être pas les plus créatifs, mais ils sont certes passés maître dans l'art du copiage. Il arrive cependant que la reconstitution de certaines oeuvres de la culture populaire soit laissée au hasard. À preuve, cette pub qui fait appel aux personnages de Star Wars pour vendre du poulet en boîte de conserve. Comme quoi, il vaut parfois la peine de perdre son temps sur le Web.

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22 février 2010

J'écris parce que je chante mal

Les éditions Septentrion font paraître ce mardi 23 février un nouveau titre: J'écris parce que je chante mal. Il s'agit du premier recueil de nouvelles de l'auteur Daniel Rondeau qui, en plus de tenir le blogue du même nom depuis 2004, enseigne l'écriture créative aux mêmes jeunes cabots que moi.

Troquant l'écran pour une poignée de main, il sera au Nacho Libre à partir de 17h ce jeudi 25 février. Vous pourrez y faire l'achat d'un livre rougeoyant qui, si je me fie au blogue, saura combler les attentes de ses nombreux lecteurs.

J'ai hâte d'y lire les nouvelles que je n'arrive pas si facilement à retracer dans son blogue.

31 janvier 2010

Kaosopolis












Si Lignes électriques a été temporairement délaissé, c'est qu'un nouveau laboratoire d'écriture a émergé ces derniers mois.

Boris Platine - À la fois blogue et protagoniste central subordonné à sa reine nègre et traînant son Olivia dans les trous de lapin d'une cosmopolis en ruines.

Le tout en direct de Kaosopolis.
Zone expérimentale.
Entrées multiples.
Un labyrinthe où se frôlent et se contaminent 5 blogueurs.
5 personnages.
5 univers.

Jimmy Jones
Ma vie à N.D.Lay
Cinéma Moon Palace
Aranéides Labs

19 janvier 2010

Sur l'autoroute (céleste) 8 - Tokyo


Une plongée atmosphérique
suspendue entre ciel et terre
qui donne l'étrange impression d'y être
en esprit
sans la foule

15 janvier 2010

Le pointillé

Si j’avais à tracer une journée au pointillé sur une page, je dirais qu’il y a plusieurs points qui déborde la page, qu’il y a aussi des points, plusieurs points, gris, fades, ternes, réguliers, entrecoupés de points noirs qui, eux, prennent parfois des proportions improbables jusqu’à noircir la page en entier. En d’autres termes, si j’avais à tracer une journée au pointillé sur une page, celle-ci se laisserait rarement appréhender par une forme d’entendement humain; elle ne se laisserait pas lire aisément. On pourrait évidemment isoler certaines parties de la page, mais qu’adviendrait-il si le lecteur tombait, par exemple, sur une journée où la page ne recèle plus de blanc? Ou, pire encore, s’il découvrait au fil des points une sorte de chemin familier qui prend forme lentement, qui le sollicite et lui renvoie comme un miroir les reflets de sa propre intelligence avant de sombrer à l’extérieur du cadre?

Il y a des points très condensés dans une journée de points et des points flous, des points qui s’effacent et des points scintillants, mais rien n’est aussi fascinant que ces points perdus, ces outre-points, en marge et bien au-delà (puisqu’au delà de la marge il y a tout de même des points - flottants peut-être, invisibles, mais points tout de même) qui forment la constellation silencieuse d’un esprit, ses dérapages, ses égarements, ses pertes de mémoire ou mieux encore ses gains de mémoire, une surchauffe qui provoque un soudain égarement à l’extérieur du cadre, une glissade enivrante dans les points noirs de l’oubli que personne ne remarquera, que personne ne soulèvera, que rien, sinon l’idée d’y réfléchir un peu, ne pourra restituer.

Si j’avais à tracer une journée au pointillé sur une page, je prendrais le temps qu’il faut pour faire à reculons le voyage dans l’informe et chercher un moyen de circonscrire ces points sur la page sans leur enlever leurs propriétés. Ce serait une sorte de passe-passe. Comme étreindre le vide ou caresser un calorifère. Mieux encore. Ce serait tout simplement des points morts qu’une langue tenterait d’animer en se constituant à même son informité.

Inventer cette langue qui permet de revivre les points morts d’une journée.