31 octobre 2009

Sur l'autoroute 5


Je ne suis pas sur la route. Je suis sur l’autoroute. Ça n’a rien à voir avec le voyage initiatique de Kerouac. Je n’ai pas comme lui les yeux dans le vent remplis de rêves et de désespoir. Ce n’est pas le même voyage. C’est une forme de déplacement, oui, mais qui ne cherche pas à repousser les frontières de l’inconnu, plutôt le connu, le très connu, le très plate, une implosion féroce dans la quotidienneté et son lot de pylônes électriques et de cônes orangés semés à la va comme je te pousse le long des lampadaires.

Je me rappelle la lecture du Jack kerouac de VLB dans ma vieille mazda rouge une froide matinée d’hiver. Je n’avais pas la clé de la maison et ma mère s’était absentée... Je lisais frigorifié dans mon manteau de cuir des lignes qui ne suivaient aucune structure sinon celle de l'impulsion comme une dérive dans des pages à peines asphaltées, --------------- ces phrases-autouroute balisées ci et là par de longues parenthèses comme lorsqu’on est pris dans le traffic et que l’esprit divague pour mieux subjuguer la douleur de l’immobilité, pour l’enrayer à coup de pensées fuyantes, évanescentes.

Les voilà qui se faufilent entre les pare-chocs et qui remontent le long des carosseries. Je pense à toi Kerouac le fuyard pétri dans ses peurs d’homme pas de courage, mais qui sait raconter une histoire, brave canuck dans les brumes de l’alcool oublié.

24 octobre 2009

Explosé oral 4 : Rouge

Il y a la fenêtre qui

source de lumière

ouverture sur les feuilles

attire les regards

peut-être

ou peut-être

qu’il s’agit d’autres choses

les cheveux

par exemple

de Natasha ou de Sara

le parfum d’Élisa

la chemise de l’enseignant

cette chemise noire

dont la texture rappelle celle de l’univers de Poe

une texture…

La mort symbolise l’irrémédiable

le temps qui passe

les connexions cérébrales qui poussent à la folie

Et quoi encore?

Poe m’emmerde, m’emmerde, m’emmerde

C’est quoi cette langue pompeuse

sombre aux odeurs de vieux gin et de masques en sueur

Peut-être qu’il s’agit d’autres choses

Une rupture

Une indigestion

Un relent de désespoir naissant

À 16 ans

Sans aucun sens de l’organisation on fait quoi avec nos bras démesurés

nos petits seins

nos petites poires émergentes

soucis soucis soucis

sans cesse ressassés

houle de dégorgements de nausées de reflux de marées de Tsunamis d’ouragans d’éruptions

à braise de peau

irradiant dans la classe

sous le bureau

dans le pantalon

à la vue des feuilles si rouges

si resplendissantes

si mouillées

ces feuilles-cheveux rouges de la fille d’en face

qui se penchent non vers moi

mais vers l’avant

qui se penche avec un penchant langoureux

dans la nuque

avec un mouvement fluide de feuilles prises dans le vent

la rougeur de ses cheveux

de son sang

j’aimerais m’ouvrir les veines

lui ouvrir les veines

lentement

pour la voir crier

geindre

trembler sous mon emprise

je dois finir mon texte avant la cloche

peut-être l’insérer

cette fille

comme personnage

Natasha rouge éprise du mouvement même de son crayon rouge rouge

J’irradie à l’idée d’écrire sur elle sous elle en elle

de conjuguer le verbe rouge à l’infinitif

de son nom

Me concentrer

Il faut écrire

Mais ces feuilles si rouges

M’empêchent de me concentrer

Sur toi

Natasha

Explosé oral 3 : s-a-l-o-p-e

S-A-L-O-P-E

J’ai un tel cri qui vient du dedans merde un tel merde de cri qui me déchire en-dedans c’est un silence une rancoeur une valse épileptique sourde que les temps renforcent un cri une rancœur amniotique de l’intérieur de naissance je crois que j’ai cette tache de naissance cette ardeur sempiternelle qui se décline en phrases lorsque je prends le temps parfois pas souvent pas assez souvent d’ouvrir la bouche quel délire quel ritournelle somptueuse virevolte dans le fond de mon cauchemar voilà c’est dit je suis en colère chaque jour en colère comme une lave qui se distille dans tous les pores da ma peau sèche et galleuse me voici devant toi le visage ouvert réceptif aux cris aux plaintes au courroux des élèves mal léchés mal torchés leurs cris épileptiques sourds qui tournent en rond dans leur cœur noirs et asséchés leur détresse déversée dans mon visage sur mes lèvres rebondissant sur mes lèvres fissurant mes certitudes mes belles certitudes mes structures d’adulte condescendant pris au milieu d’une tempête de cris de jeunes cons en mal d’égaiement pris dans la turpitude rêche et assommante des cours d’assaut menant aux brevet des compétences de chiures de mouches de science et d’art dramatique dans mon cours dans le cours où je me trouve placé au centre de la tornade de craie blanche de poudreuse sur le tableau nuageux du ciel bleu lactée sans échymose ce ciel toujours si loin de ma réalité toujours si fendant et plein de sang dans ses pluies dans ses neiges dans ses éclats de poudre de stups de hash de mesc au bout du rouleau le ciel déroulé comme un papier cul dans la classe ou il fait bon de fermer les rideaux pour dormir en paix entre les lignes affolées de la dernière note de la nouvelle blonde de mon chum qui sera sûrement ma meilleure amie quand il s’en trouvera une autre dans le décor pour lui palper le gland et nourrir ses désir de nouvelles images you tube me in the mouth comme ça et avec un peu plus de sperme dans la face svp je pense que je vais venir dans la classe avant que la cloche ne sonne parce que sinon je n’aurai jamais le temps de finir mon devoir sur la conjugaison du verbe fendre du verbe prendre du verbe craindre étreindre pourfendre palper toucher baiser je veux cet élève dans le couloir mort avec son cou plongé dans les chiottes je veux cette élèves dans le couloir vide la nuit avec une lettre de sa meilleure amie entre les mains ou se lisent les lettres : S-a-l-o-p-e.

L'écume du réel

L'image est frappante.
On se souviendra d'une histoire simple, toute simple, celle de Colin et de Chloé, celle aussi de ce nénuphar qui, tout en prenant de l'expansion au fur et à mesure qu'on s'enfonce dans le livre, pousse dans les poumons de la fiancée de Colin.
Les fantasmagories de Vian sont bien connues, mais jamais au grand jamais aurais-je cru voir l'une d'elles recensée sur un site d'information.
En effet, le 15 mai dernier, le site MosNews.com relatait une anecdote des plus saugrenues : quelque part en Russie, un jeune homme crache du sang. Après une intervention chirurgicale, on découvre un sapin de 5 cm dans ses poumons.
Aussi futile puisse t-elle sembler, cette anecdote me permet d'établir un parallèle avec un ouvrage collectif qui porte sur le rapport du roman avec le réel: Devenirs du roman.
"Quels sont les rapports du roman avec le réel? Avec le monde contemporain? En quoi celui-ci affecte-t-il la forme romanesque, et en quoi le roman affecte-t-il le réel en retour? Quelle est la capacité du roman, en tant que genre, à appréhender les enjeux du monde à venir?"
Le réel est toujours en reste par rapport à la fiction. La fiction dicte ce qui pourra se donner à voir, elle suggère, trace, répertorie un inventaire fabuleux de mots qui, en quelques phrases, finissent par se décliner en idées, fussent-elles en accord avec le réel ou non.
La question de l'utilité de la littérature refait souvent surface. À quoi sert la littérature? C'est une question non seulement énervante, mais, plus encore, truffée de pièges pusiqu'elle semble émaner directement du fond de la gorge d'une société en mal de réflexion, portée toute entière sur une forme de capital rapide, excessif, dénuée d'imagination.
«Le plaisir de la fable est d'abord une démonstration en acte de ma liberté.» Cette citation tirée de cet ouvrage me semble convenir parfaitement à Boris Vian. C'est de cette liberté seule que peut advenir une idée authentique. Un peu d'écume en surface, bientôt rattrapé par la vague du réel.

15 octobre 2009

Sur l'autoroute 4

Est-ce possible d’entrevoir une forme de narration à l’image du déroulement de l’autoroute: une sorte de flux ininterrompu qui, tout d’un coup, nous oblige à freiner, à prendre du recul, à observer notre positionnement. À la lumière du chemin parcouru, l’avancée se fait alors plus pénible, au compte-goutte, l'autoroute se change en stationnement, l’être arraché à l’action fulmine sur place dans l’attente d’une ouverture, d’un déblocage, comme le retour de l’inspiration ou de quelque chose de latent, d’imperceptible qui surgit sans klaxonner et qui ouvre de nouvelles perspectives. Les idées plus tôt étouffées se nourrissent alors de cette pause pour s’élancer de plus belle, avec un élan proportionnel au degré de stagnation. Sur l’autoroute, les interruptions dues aux arrêts involontaire ce seraient les espaces entre les paragraphes, et les paragraphes, le défilement des mots motorisés loin des feux de circulation, cette forme de ponctuation de la rue qui balise, réfrène, retient, censure, étouffe l’imaginaire du conducteur en modulant de haut en bas ses vitesses et en le maintenant à mi-chemin de son plein potentiel. Chaque seconde équivaut à un saut à la ligne. On peut ainsi mesurer l’élasticité de l’inspiration du conducteur au jour le jour, sentir, la flexion entre le mots et la stagnation du traffic mental qui s’insère entre les mots cherchés-désirés dans le droit filon de l’autoroute. Une autoroute ne devrait jamais imposer le silence. Elle devrait plutôt laisser libre cours à la fureur du conducteur et suivre le mouvement aléatoire, mais concentré et rectiligne des mots qui se réfléchissent comme des objets dans le miroir qui sont plus près qu’ils ne le paraissent. Le silence peut alors s’installer par lui-même et distiller son poison tout au long du trajet dans une sorte de défilé allégorique du verbe catalysé par le filtre de la pensée et rejeté par le tuyau d’échappement.