19 avril 2007

L'araignée

Une coccinnelle sur « Mille Plateaux » monte, monte, monte… Pourquoi c’est plus facile de tuer une araignée qu’une coccinelle? Hier, j’ai coincé une araignée dans un verre. J’ai bloqué l’ouverture avec un carton et je l’ai regardée se débattre un moment. Puis, je me suis demandé ce qu’elle allait devenir entre mes grosses mains. La voilà à cheval entre « Mystics and Zen Masters » et « Call if you need me », puis une autre s’envole vers moi. C’est une invasion? D’où elles sortent ces coccinelles? Enfin elle prend son élan sur la passion de G.H. Je me demande si je ne vais pas avoir envie de croquer dedans à la fin. C’est peut-être une escouade spéciale envoyée par l’araignée que j’ai tuée hier, pour se venger. Je ne suis pas du genre à tuer. Mais, il m’arrive parfois de m’en prendre aux insectes. J’avais choisi d’arrêter. J’en étais venu à la conclusion que peu importe ce que je tuais, un homme ou un insecte, c’était un acte qui allait à l’encontre de ma nature. Mais pour une raison que je ne saurais expliquer, hier le sang m’est monté à la tête. Je n’ai pas pu résister. Cette fois, elle a bel et bien disparue. La coccinelle. Impossible de la dénicher. À mon avis, à force de se cogner contre le mur en battant des ailes de toutes ses forces – c’est étrange qu’une si petite bestiole puisse provoquer une avalanche d’émotion en moi juste par le bruit de ses ailes qui vibrent et son corps minuscule qui rebondit sur le mur en émettant un son sec, électrique – elle a fini par s’écraser sur le sol. Je l’ai donc tuée. Je veux dire l’araignée. Après l’avoir longuement observée - jusqu’à m’accoutumer à sa présence, jusqu’à me fondre en elle - je me suis dirigé vers la salle de bain. Là, j’ai levé le bol de toilette. Et je l’ai, maladroitement, jetée dans la cuvette. On dirait qu’à la dernière seconde... j’ai hésité. Puis, pour en finir au plus vite, j’ai tiré la chaîne. Mais, elle avait réussi à grimper sur le rebord intérieur. L’araignée s’agrippait. J’étais un peu embêté. Et plus elle s’accrochait, plus je prenais mon temps, savourant, moi aussi, l’excitation que provoquait l’approche de sa mort. Ma coccinnelle est de retour! Elle virevolte à présent autour de ma tête et se cogne contre le plafond. Bzzz, bzzz, bzzzz. Mais, je ne suis plus certain s’il s’agit bien de ma coccinelle ou d’un autre insecte. Aterrissage! Cette fois sur le Robert historique. Rouge sur rouge. Le goût de tuer va peut-être me re… Et toc! En plein sur mon écran! J’ai le cœur qui me sort de la poitrine. J’attrappe un carton, le même qu’hier. Trop c’est trop. Elle s’agrippe. Tant mieux! Je sors d’un pas décidé. Arrive devant la porte de la salle de bain. Mais, elle me regarde avec ses yeux noirs comme un : Je n’ai plus la force de tuer. Peu importe l’insecte, à présent je laisse tout passer. Je vais me confectionner un petit insectarium et lorsque le poids de la solitude se fera sentir, je les observerai, jusqu’à me fondre en elles. Ainsi, j’apprendrai, au summun de cet exercice de transubstantiation, à rester en vie sous la forme de ces créatures mystiques. Je dois apprendre à regarder les petites choses de près et à les laisser vivre. Même si le désir de la mort est plus vif. Et qu’il fait monter une fièvre en moi dès que le soleil commence à descendre. Les araignées ne devraient pas tester ma foi au déclin du jour. Je suis plus faible, plus enclin à m'emporter, c'est dire combien mes sens ont facilement le dessus sur mon esprit. Je l’ai donc tuée. L’araignée. Lentement, alors qu’elle gisait au centre de la cuvette, je me suis préparé à ce bel au revoir. Mais, avant de tirer la chaîne une seconde fois, j’ai dû attendre que le bidet se remplisse. J’ai décidé de faire les choses en grand. J’ai descendu ma fermeture éclair et, sans même y penser, je l’ai visé entre les deux yeux : le jet d’or tiède a vite fait de la neutraliser. Elle s’est rabougrie. Je ne l’avais jamais vue si fragile et dépourvue. J’aurais préféré qu’elle se batte un peu plus. Je l’ai regardée une dernière fois. Puis j’ai tiré la chaîne, je me suis assis sur le bol et j’ai pleuré.

2 commentaires:

Christian Roy, aka Leroy a dit...

Très «beau» texte où l'alternance liquide entre les insectes me fait mieux comprendre la liquescence de tes scénarios.

Je pense toutefois que c'est plus fort dans «Écris la phrase la plus vraie que tu connaisses».

Mais le concept est établi. Développons-le.

Bourbon a dit...

Merci K!
Je ne considérais pas cette pièce comme un scénario-liquide. Il aurait fallu pour cela que je m'insère dans tes lignes ou dans celles de quelqu'un d'autre et que je les remixe. Comme tu l'as si bien fait avec : «écris la phrase la plus vraie que tu connaisses».