20 avril 2007

La couleur des rêves

«L'expérience intérieure est l'autorité en elle-même.» - G. Bataille Mes jours ne sont plus qu'une série de renoncements paralèlles, un défrichement, un changement de peau, une transformation soumise à la soustraction. Je soustrais des projets, des idées, des rêves. J'effeuille ma mégalomanie. Les idées éclatent aussitôt qu'elles surviennent, décimées par le bas. Et j'observe, de plus en plus impassible, les volutes bleues du désespoir dériver au loin. La dissipation sereine des mes rêves m'apporte une nouvelle joie : je maîtrise de mieux en mieux l'art du renoncement. Quels renoncements dans ma vie ont fait monter ce thème en moi comme la crue des eaux? Les grandes marées suivant le voyage ont fait place aux petites marées réconciliantes du quotidien. Joies difficiles mêlée aux vapeurs de thé. Les déplacements extrêmes à l'étranger créent, une fois fixé, des mouvements intérieurs proportionnels à leur degré d'intensité. Petite musique incendiaire pour une série de mouvements géologiques qui se répercutent dans mon esprit : typhons, tremblements de terre et tsunamis. C'était en 2004. Combien de deuils peut-on faire un à la suite de l'autre sans tomber dans le coma? sans soi-même rechercher la lueur du deuil dans les yeux des autres, la mort tenace dans les gestes quotidiens? Soupirs, maladie, blessures, dépression, feu - le cri des corbeaux comme ritournelle obsédante du deuil. Le renoncement pourrait se traduire ainsi : rationalisation du deuil. Passage du rêve à la réalité. Accomplir un rêve (Le désir n'est désir que lorsqu'il demeure un fantasme, selon Lacan) anihile le rêve. Mais cette anihilation est lente, presque imperceptible jusqu'au jour où la désintégration inévitable du rêve en tant que rêve fait place à la «réalité». Il existe un décalage subtil entre sa vision idéalisée des choses ( «avoir un rêve») et l'impact mental lorsque le rêve devient réalité. L'habitude aménage alors une habile substitution : petit désespoir. Pour «aller voir la couleur de ses rêves», aller resentir la mort, le processus de dégradation de la pensée, il faut réaliser ses rêves. Cette réalisation, pafois dispendieuse, exige une forme de renoncement, un renoncement à la machine du rêve, comme fabriquante de réalités: on accepte alors d'aimer le rêve non pour ce qu'il promet, mais pour ce qu'il produit chez le rêveur à l'instant même où il rêve. Le rêve est une méditation en action, le lever du rideau de l'esprit qui, lorsque actionné, connecte le penseur à son imaginaire et l'arrime à l'épaisseur du présent, faisant de lui le cinéma vivant de toutes ses projections. Tant d'images provoquent des secousses intérieures; le rêveur doit apprendre à se détacher et, renonçant à leur attrait physique ( vers le réel) laisser passer les images inutiles pour ne faire bon usage que des images utiles à son rêve. Il devient maître du montage en perfectionnant d'abord cette sélection d'images «intérieures». «L'expérience intérieure est l'autorité en elle-même.» Ainsi, fabriquant des rêves, il pourra s'en nourrir, sans sentir le besoin d'aller voir leur couleur à l'extérieur de lui-même. La couleur des rêves n'a pas la même luminosité sur fond de réalité.

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