31 octobre 2007

Mascarade

Elle avait de si longs cils qu’en s’approchant d’elle on avait l’impression de voir papillonner ses yeux. C’était une fille d’une ardeur inconcevable, une petite femme fantôme lumineuse et délicate. Lorsqu’elle marchait, ses orteils tintaient comme des cloches. On n’allait pas vers elle. Elle venait vers nous. Du moins semblait-elle s’aventurer dans notre direction, mais elle ne faisait que passer. Et le vide qu’elle laissait en passant voilait au regard des passants ses longs cils. Quiconque tentait de retenir quelques étincelles de ses yeux devait se résigner à pourfendre l’air. Elle ne portait pas de masque. Sa beauté, toute en silence et en ombres, éclipsait l’accessoire. Comme à chaque soir, je l’attendais, - un gros oiseau gris-bleu s'essorant dans les étoiles et traînant l'aile à la fenêtre de sa chambre. Dès son arrivée, elle s’engouffra à l’intérieur. Puis, elle se fit avaler par un appareil d’élévation. Je dus me résigner à égrener l’éternité dans l’attente anxieuse de sa réapparition. Je l’imaginais se déplumant au rythme d’une musique intérieure d’une précision telle qu’au 47e étage, lorsque les portes de l’ascenseur s’ouvraient dans un spasme mou, sa nudité frôlait le sol. Elle sortait alors d’une nuée de plume et s’avançait à petits pas vers l’énorme baie vitrée qui, de sa chambre, surplombe la cité. Un bal offert en exclusivité aux créatures de l’azur. Elle n’avait pas l’habitude de parler. Chez elle, le verbe modulait les silences. Sa nudité seule démasquait le monde. Elle laissait aux autres la parole. Dans sa chambre, tout se faisait ombre et aquarium ardent. Des pianos fendaient l’air sous son lit en plastique, sa couette aux folles avalanches débordait de poissons fantastiques, des jardins de crocodiles croissaient à la queue leu-leu, les tics de l’horloge conversaient avec les punaises, le globe terrestre s’auto-dévorait, l’intrigante voisine à l’étage inférieur rongeait ses ongles rouges en chantant des comptines, de jolis parapluies se tenaient au garde-à-vous sur la table de la cuisine, le garde-robe dégageait une vapeur bleue sur fond de cintres squelettiques, les pétoncles fraîches du marché bavaient sur le futon, les chaussures et les chaussettes suintaient en se chuchotant des saletés, des acrobates venus du monde entier jouaient aux cartes les jambes croisées, deux ours aux gencives violettes faisaient la lessive en se savonnant le sexe. Enfin, partout sur les murs courait l’encre noire des livres. Mademoiselle avait son passeport onirique sur la taie d’oreiller. Et la nuit venaient s’y poser, délicatement, ses longs cils.

4 commentaires:

Anonyme a dit...

J'ai découvert ton texte chez http://louvainlaneuve.blogspot.com/, il est magnifique, les images très originales et belles... Merci !

Nina louVe a dit...

Miam ! Quel bonheur de voir les échos apparaître ici.

lamber Savi a dit...

très heureux de faire une petite visite , je vais m'attarder
L

Christian Roy, aka Leroy a dit...

mort de rire. je ne pensais jamais me retrouver dans un liste à puce avec deleuze. pour une littérature mineure: les Québécois de souche empruntant des pseudonymes anglo-saxons pour le seul plaisir de faire rager les nazis péquistes. discuter.

ah gilles... c'est peut-être de lui que mc gilles a pris son pseudo.

toute est dans toute.