20 août 2006

L'infini dans un verre d'eau

Cette nuit, j'ai le vertige et je m'efforce à travers l'écriture à reprendre le contrôle. Je sens la dérive me prendre de l'intérieur, mais peut-être ai-je acquis la capacité de rediriger cette sorte d'énergie sourde et rampante qui s'emmagasine dans mon bas-ventre et me donne envie de me jeter sur la première bouteille. Il n'y a rien pour me baliser, rien en quoi me perdre, une simple pièce, un espace plutôt vaste, son silence et le bruit du ventilateur qui me rappelle que nous sommes en aôut et que l'été commence à tirer à sa fin. Je sais que je suis en vie à nouveau parce que j'attends un appel de téléphone et que cet appel, pour la première fois depuis longtemps, ne me laisse pas indifférent. Je ne me rappelle pas d'avoir ressenti cette sorte d'anxiété depuis des lustres. Si j'avais à la décrire, cette anxiété, je dirais que c'est le firmament sans étoiles ou l'océan sans rivages - il y a quelque chose de suffoquant comme l'éternité prise dans un verre d'eau ou l'attente intense et ralentie qui précède l'explosion d'une grenade. C'est cela une grenade, et cette grenade, je ne sais pas si elle est chargée ou non. Je la regarde et je sens qu'elle aussi, dans sa densité atomique, me regarde. Décharges d'oeillades sans compromis. Aurai-je le courage de regarder la bombe m'exploser au visage? Je veux dire, aurai-je le courage de regarder ma solitude en face et de laisser le silence tomber sur moi et de respirer tranquillement malgré tout et pourquoi pourquoi est-ce si difficile d'aligner quelques mots alors que je ne vois pas comment je pourrais faire autrement pour passer à travers cette nuit? Regarder le silence en face ou le laisser me prendre de l'intérieur, le laisser revamper ma nuit alors que la respiration même me semble lourde et que j'évite de m'y enfoncer, comme si ce n'était pas la réponse. Pas cette nuit. Rester assis devant ma table de travail et sentir l'anxiété plutôt, ce firmament astellaire qui siffle et serpente dans mes neurones atrophiés de violence. Sentir l'anxiété enfler au rythme des bombes qui explosent et tenter, par mille moyens, de faire semblant de rien, de détourner le regard et d'enterrer les images mitraillées de cadavres et d'enfants bleuis par le feu. Cet appel qui ne vient pas, qu'est-ce que c'est? Ce n'est rien. Mais pour moi, c'est quelque chose qui me glisse des mains, quelque chose qui m'échappe, une glose sans papier, une encre qui ne sèche jamais, un état gazeux. Je préférerais encore m'évaporer plutôt que d'avoir à subir cette transformation chimique. Il m'est pénible en effet d'avouer que j'attends ce soir, avec ardeur, le son réconfortant de la voix d'une femme. Je cherche à m'échapper de moi-même. J'épluche les possibilités : alcool, mari, tv, téléphone, courriel, Internet, lecture, ménage, déprime, frustration, marche, etc. J'opte plutôt pour l'option suivante : sentir mon pouls battre dans le bout de mes doigts. Et transcrire, radieusement, ces vibrations sur l'écran liquide. J'éprouve une certaine joie maintenant, quelques paragraphes plus tard, à sentir le sang circuler dans mon corps. Il y a avait longtemps que je ne m'étais pas senti en vie. C'est sans doute le contact prolongé avec l'eau et les arbres et la terre. Je commence enfin à m'évaporer, même si cet appel me réjouirait, mais je ne sens plus cet état comme un manque ou un échec, plutôt comme une épreuve douloureuse me transformant et me permettant de m'endurcir tout en me rendant plus malléable. Je ne peux rien contrôler. Rien ne se contrôle. Tout, fluide, change, se transforme, disparaît et réapparaît sous une autre forme. Si, cette nuit, je suis, seul et silencieux, c'est aussi pour apprendre à être mieux, seul et silencieux; à être vraiment seul et silencieux sans pour autant sentir cette solitude comme une dégradation de mon être, mais plutôt comme une pauvreté souhaitable, rafraîchissante, d'une simplicité qui me permet, lentement et à mon propre rythme, de me rapprocher de Toi. Car, je suis moi aussi une vague et sans moi aussi, il n'y aurait pas d'océan. C'est l'évidence calme qui plane sur cette nuit et les ombres ne sont plus en moi mais autour de moi et avec moi dans cette descente un peu plus en profondeur au coeur de mon mystère. Nul besoin de mouvement pour voyager. Tout est là en soi, mais c'est beaucoup plus terrifiant que de prendre l'avion pour se rendre à l'autre bout du monde. On ne débouche toujours que sur soi. Ou que l'on soit, l'infini nous rattrape toujours dans un verre d'eau.

16 août 2006

Banana

- How are you? - I'm sorry? - I said, how are you? - Good. - You are not from this area, are you? - Yes. Why? - Most people who live around here come in and stand in front of me looking like this with their head in their hands and they look down and they say stuff like «I'm so depressed» when I ask how they're doing. They seem to be waiting for some sort of sympathy or something, I don't know. - I see. I live just across the Main. - Really! You don't seem like your from here. I mean you look good and all. You could easily be confused for the Esperanzza type. I'm used to seeing always the same faces in here. You french? You know my girlfriend is french! - Hmm... French. Feisty, eh? - You bet! She's a real tough one! Want veggies or brown rice? If I were you, I'd go for the veggies! I mean, you have enough already with those black beans to last till the morning! - Veggies. Why not? - Anything to drink? - How about one of those organic green teas. - Sure thing. Here you go. Where you sitting? I suggest the other side. It's much brighter. Sun drops right in. Perfect for reading and stuff if you feel like hanging around a little. I'm sure you must be a reader. You look like the reading type. What are you into these days? Da Vinci code? Harry Potter? - Banana. -No, no I meant, what are you reading? - Banana. -Huh? -Yoshimoto. Yoshimoto, Banana. That's her name. - She writes recipes or something? - Not quite. She writes short stories. Simple, precise and strange short stories about young people having trouble in their relationships. For example, how a man falls in love over and over again with married women and how, in the end, he feels so empty, he finds nothing better to do than reading books written by Banana Yoshimoto over a warm tea cup in a trendy coffee shop. - I see. Well, I hope you'll enjoy your meal... - Thanks.