11 juin 2010

Propositions sur Glenn Gould - 4e gamme

J'ai beau essayer d'écrire sur la table de la cuisine pendant que les plats mijotent ou devant la TV, dans mon lit aussi, j'ai déjà mis mon portable sur mes cuisses, mais je n'y arrive tout simplement pas. Il me faut un lieu où je peux me retrouver avec ma machine et ma chaise et ma table, une zone fortifiée, à l'abri des distractions quotidiennes. Le rituel prend tout son sens seulement s'il est vécu entre les murs qui ont retenu mes humeurs.

C'est ici assis confortablement sur une chaise ou pas, souvent pas, avec les pieds sous les cuisses, sous les fesses souvent, rapidement, malgré moi, manie japonaise du seiza qui relève ma colonne et oblige mon corps à se tenir malgré tout, au fil des mots, même si, après une secousse ou deux, alors que les phrases s'entassent les unes sur les autres, j'ai souvent le cou cassé, le ventre sorti et les jambes engourdies.

Je parle tout haut aussi, je chuchote, je marmotte, ce besoin presque enfantin d'entendre la vibration des lettres qui s'entrechoquent, de le sentir glisser sur le bord des lèvres - constructions musicales qui fouillent le vide à la recherche d'un sens. L'écho comme une façon de n'être jamais complètement seul, mais de se retrouver face à soi, avec ce qu'il y a de plus ténu en soi - déplacer de l'air pour se sentir en vie et pour négocier en  démultipliant ses voix une sorte de pacte avec le réel - fugue du moi, se voir tout à coup en petits morceaux, constellé sur l'écran en cristaux liquides : JE : deux notes noires cernées de blanches (l'espace infini entre ce mot) - un son étranger qui se démultiplie dans la répétition et se dissout dans la solitude.